lundi 23 janvier 2012

A propos de couleurs...


Couleurs, vous êtes des chances…


Ce poème s'adresse à tous ceux qui mettent au ban
Les parias privés du bonheur d'avoir pu naître en blanc.
A tous ceux qui ont rayé le métissage de leur vocabulaire,
Jouant à faire rimer multipolaire avec patibulaire.

Ils n'ont, ces êtres obscurs à la pensée si claire,
Même pas l'excuse d'un daltonisme primaire.
Munis d'une craie blanche en guise de pinceau
Ils parviennent aisément à noircir le tableau.

Mais ne voir en l'autre qu'un être différent,
Impossible à aimer  à cause d'un autre accent,
Vilipender, broyer du noir à chaque slogan,
N'est-ce pas somme toute  faire sacrément chou blanc ?

Il n'est de sot dit-on qui ne fasse marche arrière,
Qui n'ôte ses œillères  et range sa bannière,
Cessant de faire porter à l'autre tous les malheurs,
Pour enfin voir leur vie de toutes les couleurs.

Oubliez donc vos peurs bleues et sortez de la crise,
Votez pour le panachage qui tous nous valorise,
Mêlez le blanc au noir et n'ayez pas de crainte,
Vous n'en sortirez ni marron ni déteinte.

Toute votre colère noire sur le mélange des pigments,
N’est que fausse trajectoire, que mauvais croisements.
Allez vous mettre au vert, hissez le drapeau blanc,
Et reprenez tous en chœur, blanc bonnet, bonnet blanc !









mardi 10 janvier 2012

Une histoire sanglante à partir d'un incipit...



Feuille morte

Le ciel s’obscurcit, l’orage menace, mais bizarrement Mathilde est sereine. Appliquée, le sourire aux lèvres, elle frotte avec un torchon de cuisine rose la lame tranchante d’une feuille de boucher. 

Pour l’heure, les caprices de la météo, les nuages qui s’amoncellent au-dessus de la petite cité ne la concernent pas. La basse continue du tonnerre, pareille au roulement d’un train en marche, n’est pas de taille à briser la quiétude de la bulle dans laquelle s’enferme Mathilde lorsqu’elle est seule et travaille dans la boucherie. Tout particulièrement lorsqu’elle soigne le nettoyage d’un de ces redoutables instruments qui vont lui permettre plus tard de s’approcher religieusement de la viande à laquelle elle voue une véritable passion. Plus encore quand cette dernière, nacrée, subtilement parfumée, palpite encore d’un souffle de vie et qu’elle peut alors s’adonner à son jeu favori dont l’innocente perversité fait monter en elle l’allégresse des plaisirs défendus : glisser un index gourmand sur le sang vermeil qui emperle la surface de la viande et le sucer lentement pendant que de troublantes images se mettent à se télescoper dans sa tête… 

Interrompant un instant sa tâche appliquée, elle risque un doigt caressant sur le fil de l’outil pour s’assurer que son tranchant n’a pas souffert de l’opération en cours. Son sourire satisfait, nuancé à présent d’une pointe de cruauté, reprend ses droits sur ses lèvres minces, précédant un commentaire circonstancié : 

- Quelle belle feuille que nous a vendue là Machelot à son dernier passage ! En voilà un au moins qui connaît son métier et qui le respecte scrupuleusement ! Pas comme l’autre qui se tire des pattes aussi souvent qu’il le peut ! 

Elle continue à manipuler la feuille avec des gestes délicats tout en réitérant sa caresse à plusieurs reprises et murmure une phrase sibylline à son intention, exactement comme si elle était une partie intégrante d’elle-même : 

- Mon travail va à présent devenir un jeu d’enfant… 

Après quelques timides préambules rapidement expédiés, l’orage se décide soudain à passer aux choses sérieuses. Des éclairs violets, qu’accompagnent des roulements sonores, amplifiés par les échos de la vallée, déchirent le ciel devenu d’un noir d’encre. Des rafales brutales font valser la poussière, annonçant l’arrivée d’énormes gouttes qui claquent dru sur l’asphalte de la rue et les pavés de la cour. 

Mathilde ne réagit toujours pas, affairée qu’elle est à traquer la moindre salissure, la plus petite ternissure sur l’acier poli de son couperet. Enfin elle s’arrête. Élevant l’outil à hauteur de ses yeux de myope, elle le tourne et le retourne en tous sens. La lame luisante accroche subrepticement la lumière, déclenchant par une surprenante analogie une salve d’artillerie qui fait trembler les vitres du magasin. 

Comme à regret, elle replace délicatement la feuille au creux de son étui de cuir qu’elle suspend par son œillet à un crochet libre. 

Devenue vacante, elle peut enfin se laisser aller à contempler un instant le spectacle violent de la nature qui s’abandonne à une de ces colères démentes dont elle est parfois capable. La petite ville fait le gros dos sous l’orage. Le caniveau dont l’angle de pente devient plus aigu juste devant la boutique s’est changé en torrent furieux. 

- Heureusement que le magasin est surhaussé par rapport à la rue ! marmonne la bouchère, un instant rendue aux réalités du moment. 

A l’évidence, personne ne viendra plus à la boutique tant que durera cet épisode. Mathilde donne donc un double tour de clé à la porte et monte à pas précautionneux dans sa chambre. La pluie qui s’abat en cataractes mène un branle infernal sur les tôles du laboratoire. 

Elle jette un œil circonspect par la fenêtre que la buée ternit avant de gagner le bureau de noyer marqueté de bois clair qu’escortent deux chaises paillées. Son journal intime est là qui l’attend, toutes pages béantes. Elle allume la lampe de lecture à l’abat-jour céladon, s’assied, réfléchit longuement puis commence à faire crisser la plume de son stylo sur le papier. De temps à autre, son œil s’allume d’une lueur dure, semblable à celle des derniers éclairs qui zèbrent le ciel de mars. 

Lorsqu’elle est concentrée sur son travail, qu’il soit d’écriture ou de boucherie, Mathilde a une curieuse manie qui consiste à darder un petit bout de langue rose et à passer plusieurs fois sa langue sur ses lèvres, découvrant des canines pointues… Des canines pointues tels des stylets prêts à déchirer… « Tels des crocs de boucher… » pourrait affirmer une tierce personne ayant un sens aiguisé de l’humour en observant le phénomène… 

Ah oui ! Le boucher ! Parlons-en ! Elle l’avait oublié celui-là. Pas étonnant ! Voici trois jours qu’il l’a laissée tomber soit-disant pour se rendre au Salon de l’Agriculture. Au Salon de l’Agriculture ou ailleurs… 

Ce boucher qui joue les Arlésiennes est aussi accessoirement son mari depuis bientôt douze années… Elle l’a épousé sans passion débordante ni questionnement inutile, comme on rejoindrait un arbre devenu familier que l’on entoure de ses bras. Tous deux étaient voisins depuis toujours, la place de vendeuse s’est un jour trouvée vacante, elle l’a occupée tout naturellement en même temps que le lit de son patron et n’est plus jamais repartie, l’officialisation de l’union n’étant que la reconnaissance d’une situation établie, un ordre naturel des choses en habit de noce en quelque sorte. 

Aujourd’hui, elle possède suffisamment de recul pour admettre qu’elle avait franchi le pas pour deux raisons majeures dans lesquelles l’amour se trouvait réduit à la portion congrue. 

Tout d’abord - et ce n’était pas rien ! -, elle avait ainsi échappé à l’emprise de sa mère que son deuil avait rendue tyrannique. Ensuite, en épousant le boucher, elle avait surtout épousé la boutique et tous les avantages supposés y être attachés. 

Car très vite le ménage avait fait chambre à part, la sensualité débridée du marchand de viande ne pouvant se satisfaire des maigres appâts que lui offrait sa moitié. Son commerce était réputé pour l’opulence de ses pièces de boucherie, ses conquêtes se devaient de l’être tout autant. Il lui fallait des femmes plantureuses et peu farouches, promptes à satisfaire des désirs qui, pour être élémentaires, n’en étaient pas moins ardents. 

Le Dom Juan en tablier blanc ne dissimulant en aucune façon ses écarts de conduite, tout le village avait été rapidement au courant, ce dont Mathilde, par un légitime souci de respectabilité, avait d’abord feint de s’offusquer. D’autant que les commères, dont certaines avaient déjà partagé la couche du malandrin, ne manquaient pas de venir au magasin jaser d’abondance, l’œil allumé et la narine frémissante, brodant à l’envi sur les agissements de l’époux volage et le sort peu enviable de la malheureuse délaissée. 

Attendrie par larmes de crocodile qui perlaient sur les paupières consternées des pleureuses de service, Mathilde s’était abondamment épanchée, ne trouvant pas de termes assez crus pour vilipender son mari. 

Et puis ce petit jeu l’avait lassée, comme s’étaient lassées les pratiques de constater que leur venin répandu ne débouchait pas sur quelque affaire bien sordide, au détour de laquelle leur curiosité malsaine aurait pu se satisfaire à peu de frais. 

Le dégoût envers son époux frivole (elle n’avait pas employé le mot haine car il lui paraissait trop élevé par rapport aux sentiments qu’elle éprouvait pour son homme) s’était transformé au fil des mois en une passion frénétique pour la viande. A défaut d’avoir le courage de dire ses quatre vérités à l’infidèle avant de franchir définitivement la porte et d’ajouter une page toute neuve au livre de sa vie, elle se vengeait à sa façon. Non sur le boucher, mais sur la viande de boucherie, découpant les gigots, ciselant des escalopes, tranchant des jambons, lacérant d’enthousiasme les lards dodus… À chaque fois que son couteau ouvrait une plaie béante, que le couperet s’abattait, que la scie maniée d’une main vigoureuse crissait sur un fémur nacré, elle sentait un frisson de jouissance pétiller au creux de ses reins. 

À cette heure, Mathilde était devenue bouchère, ce qui était quand même autrement valorisant que d’être la simple femme du boucher. Elle se fichait donc éperdument des frasques extra-conjugales de son boucher de mari pour s’adonner corps et âme à sa nouvelle passion. 

Malgré sa propension à semer à tout vent en s’occupant de tendrons qui n’étaient pas de veau, le fringant quadragénaire n’avait jamais réussi à lui faire un enfant. Quelle chance en vérité ! Elle ne s’imaginait pas obligée de négliger sa boutique bien-aimée pour s’occuper à temps plein d’un marmot braillard, d’un lardon ressemblant comme une goutte d’eau à son géniteur honni ! Rien donc, aucune entrave malvenue pour l’empêcher de savourer goulûment la découpe frémissante des pièces de boucherie et la satisfaction de ses fidèles clients ! 

Demain soir, c’est la noce de Melle de St Chamant, la fille unique du hobereau du village. Le cuisinier va être content. Les carrés d’agneau qu’il a commandés vont être découpés dans les règles de l’art. Elle se promet déjà une soirée de gala, seule devant son billot, maniant avec une dextérité gourmande le fidèle couperet. Paul Martin, boucher-charcutier de son état, successeur de M. Père depuis 1992, peut bien courir le guilledou ! Ce soir, la félicité de sa femme sera dans l’agneau comme à d’autres heures son bonheur prend naissance dans les côtes de bœuf, sa jouissance dans les grenadins de veau... 

Interrompant brutalement le soliloque en chambre, le sieur Martin rentre au bercail, égrillard comme toujours, imbibé comme souvent. Pestant contre la porte fermée à double tour, il s’en faut de très peu que ses coups redoublés ne brisent pour le compte la petite vitrine qui jouxte la porte d’entrée. Il revient au logis comme il en est parti, sans le moindre mot d’excuse, la moindre attention pour sa femme qui vient de redescendre en catastrophe et se tient devant lui, les bras ballants. Chancelant sur le carrelage du magasin, il se contente de ponctuer son retour d’une déclaration pour le moins imprévue dont sa voix avinée accentue encore l’impact : 

- Tu es là toi ! Ça tombe bien car tu vas être la première à connaître la nouvelle ! Figure-toi que j’en ai par-dessus la tête de cette affaire-là. Demain, je vais voir Michaud de l’Agence Bonprix et je mets le magasin en vente ! 

La foudre aurait décidé de jouer les prolongations en lui tombant là, entre les pieds, qu’elle n’aurait pas été plus surprise. Elle ne peut que bégayer lamentablement, épouvantée par l’énormité de la déclaration : 

- Tu… Tu… ne vas… Tu ne vas pas faire ça ! 

- Je me gênerais tiens ! C’est toi peut-être qui va m’en empêcher ? Au cas où tu l’aurais oublié, je te rappelle que tu n’es que le morceau rapporté dans cette maison… 

Pourtant peu coutumière de ces pétillantes colères de chat qui sont généralement l’apanage des sanguins, blessée dans un amour-propre qu’elle n’imaginait plus si près de la surface, elle ne supporte pas cette horrible éventualité. Se retrouver chassée de son domaine, de sa terre de prédilection, de son jardin d’Eden, quelle affreuse perspective ! 

Au fond de l’eau apaisée de ses prunelles, se rallume soudain une lueur métallique, indéniable aveu d’une sourde colère intérieure. L’escalier résonne du pas bruyant de l’ivrogne. Une série de rots sonores, suivie de borborygmes indistincts ne tarde pas à succéder au gémissement des planches malmenées. L’ivrogne grommelle : 

- Je vais faire un somme tiens ! Après ça ira mieux… 

Mathilde a un haussement d’épaules et ses lèvres minces se resserrent jusqu’à n’être plus qu’un trait horizontal au bas de son visage crispé… 

- C’est ça ! Dors ! Comme tu dis, ça ira mieux après ! … 

Elle revient vers la caisse, essuie à un linge qui pend son visage blême qu’une sueur aigre laque, rredresse le lourd billot de chêne couturé de cicatrices qui résonne sourdement comme lorsqu’on remet en place la dalle d’un tombeau. 

L’espace de quelques secondes, un fil invisible réunit son regard et le couperet que le passage d’un camion dans la rue vient de faire tressauter d’impatience au bout de son crochet. 

L’autre qui ronfle là-haut la bouche ouverte après avoir copieusement souillé la carpette écrue et tout un pan de la courtepointe de pilou rose aurait bien besoin d’une bonne leçon. Une main vengeresse, quelques coups fermement appliqués du plat de l’instrument sur ses fesses roses et le voilà qui, subitement dégrisé, se mettrait à couiner comme un porc à l’heure du sacrifice, payant par la même occasion les intérêts des paroles sacrilèges proférées tout à l’heure. 

Hélas, Mathilde, parfois si habile à s’échauffer l’esprit en ruminant longuement des projets de basse vengeance, voit toutes ses résolutions se dégonfler tels des ballons de baudruche dès qu’il s’agit de passer à la phase de réalisation. Son seigneur et maître, même physiquement absent, même profondément endormi, continue à lui imposer son ombre tyrannique, cette ombre qui voyage de conserve avec la crainte qu’elle lui inspire. 

Alors comme souvent, elle s’assied sur le tabouret d’infortune dans un recoin de la boutique obscure et, déplorant sa maudite faiblesse, pleure sur son sort. 

Mais ne dit-on pas que la nuit porte conseil ? Aurait-elle également ce pouvoir quasi magique de réduire les inhibitions et de forger des résolutions ? 

Toujours est-t-il que le lendemain, deux voitures de police stationnées devant la boucherie mettent en émoi tout le quartier. Dans ce gros bourg où il ne se passe jamais rien, quelle aubaine d’avoir un semblant de quelque chose à se mettre sous la dent acérée de la médisance et deux ou trois folles rumeurs à propager ! 

A présent, un journaliste rubicond regagne son véhicule stationné sur la place de l’église. Un carnet ouvert à la main, il semble tout content de lui, riche des informations qu’il a réussi, grâce à une longue pratique du métier, à soutirer à la maréchaussée locale. 

Comme il relit ses notes en marchant, il manque de peu d’entrer en collision avec Mme Dubois que son embonpoint signale pourtant habituellement de fort loin et qui arrive tout essoufflée, furieuse d’avoir failli manquer la curée. Elle retrouve fort à propos son souffle et ses esprits pour s’en prendre vertement au malotru qui grommelle de vagues excuses et revient illico à sa lecture. L’article paraîtra le lendemain à la une de la gazette locale, agrémenté d’une photo de la boutique criminelle immortalisée par son compact de poche. 

En quittant le village, il se fend d’un rire bref en pensant qu’avec le titre qu’il projette, il n’a vraiment pas fait dans la dentelle journalistique : 

« Le boucher de Ste Eulalie saigné à mort dans son sommeil par sa propre épouse ».





mercredi 4 janvier 2012

Une histoire de coq et de pendule inspirée par la célèbre chanson de Claude Nougaro...


 Battements de cœurs.
Décidément, ce matin n’était pas comme les autres. Lorsque l’Emplumé avait quitté son perchoir de nuit pour gagner son fumier coutumier, il avait été frappé par la drôle de lumière qui coulait du ciel bas, une lumière laiteuse  filtrant à travers une chape d’invisibles nuages. Le vent qui avait mené le branle toute la nuit s’était tu et un silence impressionnant avait présidé à la montée du jour. 
L’Emplumé avait eu beau s’égosiller, lancer aux quatre vents son appel triomphant, il n’avait pas été payé de retour. Même sa cour habituelle de gélines soumises lui avait fait faux bond. Quant à M. Laurent, le jeune fermier, qui était sorti pour se rendre aux étables, le visage marqué de fatigue, il n’avait pas eu un regard pour lui.
Un tantinet vexé, le coq avait quitté le fumier d’où sourdaient de lourds remugles et, chose inhabituelle pour lui qui craignait comme la peste les sabots de la fermière, il s’était dirigé vers la cuisine dont la porte était demeurée grande ouverte. La pièce assombrie était déserte. Seul le balancement cadencé de la belle comtoise et l’éclat terni de sa lentille de cuivre animaient les lieux. L’Emplumé retrouva soudain de sa superbe et lança à l’adresse de la pendule une boutade qu’il crut spirituelle :
- Bonjour gardienne des Heures ! Vous vous êtes levée bien en avance aujourd’hui !
- Jeune fat ! rétorqua du tac au tac l’interpellée. Quand on se trouve en présence d’une dame d’âge respectable, on a au moins la courtoisie de dire bonjour ! Mais il est vrai que vous arrivez de votre tas de fange !
- Tas de fange, tas de fange ! Vous êtes bien contente de m’entendre claironner l’aurore lorsque vos engrenages sont grippés et vos ressorts détendus !
- Certes !
- Ainsi donc, nous voilà quittes ! Je fus écervelé, vous fûtes condescendante ! Match nul !
- J’y consens ! D’autant que pour tout vous dire, depuis quelque temps ce grand âge dont on me rebat les oreilles me cause plus de désagrément que de plaisir. Après des centaines de milliers de tic-tac sans histoire  je viens, il y a peu, de connaître l’ennui. Pire encore, la peur…
- L’ennui, la peur ? Comment cela ?
- L’ennui ça se comprend, je suis la plupart du temps seule durant la journée et m’écouter ronronner ne me comble plus. La peur parce que c’est mon propre temps que je martèle à longueur d’année et qu’à chaque tic, le tac de la fin se rapproche inexorablement…
Ces doctes paroles plongèrent l’Emplumé dans un abime de perplexité. Ce fut à l’instant précis où il se préparait à reprendre la parole que la porte de la chambre contigüe s’ouvrit. Madame Laurent  encadra sa face sévère dans le chambranle. Statufié sur place, l’Emplumé ne put faire autrement que de remarquer les larmes qui lui noyaient les yeux. Sans un regard pour l’intrus, après s’être brièvement essuyée le visage d’un revers de manche, elle ouvrit la caisse historiée et d’un geste doux, comme à regret, arrêta la course du balancier qui eut un hoquet douloureux.
Le coq sentit sur sa nuque offerte glisser le froid de l’acier. Ne savait-il pas de longue date que dans ce pays, la coutume voulait qu’un repas, à l’intention des parents qui venaient parfois de fort loin, soit servi après des obsèques et qu’à cette occasion on y sacrifie le plus beau volatile de la ferme ?