mercredi 4 janvier 2012

Une histoire de coq et de pendule inspirée par la célèbre chanson de Claude Nougaro...


 Battements de cœurs.
Décidément, ce matin n’était pas comme les autres. Lorsque l’Emplumé avait quitté son perchoir de nuit pour gagner son fumier coutumier, il avait été frappé par la drôle de lumière qui coulait du ciel bas, une lumière laiteuse  filtrant à travers une chape d’invisibles nuages. Le vent qui avait mené le branle toute la nuit s’était tu et un silence impressionnant avait présidé à la montée du jour. 
L’Emplumé avait eu beau s’égosiller, lancer aux quatre vents son appel triomphant, il n’avait pas été payé de retour. Même sa cour habituelle de gélines soumises lui avait fait faux bond. Quant à M. Laurent, le jeune fermier, qui était sorti pour se rendre aux étables, le visage marqué de fatigue, il n’avait pas eu un regard pour lui.
Un tantinet vexé, le coq avait quitté le fumier d’où sourdaient de lourds remugles et, chose inhabituelle pour lui qui craignait comme la peste les sabots de la fermière, il s’était dirigé vers la cuisine dont la porte était demeurée grande ouverte. La pièce assombrie était déserte. Seul le balancement cadencé de la belle comtoise et l’éclat terni de sa lentille de cuivre animaient les lieux. L’Emplumé retrouva soudain de sa superbe et lança à l’adresse de la pendule une boutade qu’il crut spirituelle :
- Bonjour gardienne des Heures ! Vous vous êtes levée bien en avance aujourd’hui !
- Jeune fat ! rétorqua du tac au tac l’interpellée. Quand on se trouve en présence d’une dame d’âge respectable, on a au moins la courtoisie de dire bonjour ! Mais il est vrai que vous arrivez de votre tas de fange !
- Tas de fange, tas de fange ! Vous êtes bien contente de m’entendre claironner l’aurore lorsque vos engrenages sont grippés et vos ressorts détendus !
- Certes !
- Ainsi donc, nous voilà quittes ! Je fus écervelé, vous fûtes condescendante ! Match nul !
- J’y consens ! D’autant que pour tout vous dire, depuis quelque temps ce grand âge dont on me rebat les oreilles me cause plus de désagrément que de plaisir. Après des centaines de milliers de tic-tac sans histoire  je viens, il y a peu, de connaître l’ennui. Pire encore, la peur…
- L’ennui, la peur ? Comment cela ?
- L’ennui ça se comprend, je suis la plupart du temps seule durant la journée et m’écouter ronronner ne me comble plus. La peur parce que c’est mon propre temps que je martèle à longueur d’année et qu’à chaque tic, le tac de la fin se rapproche inexorablement…
Ces doctes paroles plongèrent l’Emplumé dans un abime de perplexité. Ce fut à l’instant précis où il se préparait à reprendre la parole que la porte de la chambre contigüe s’ouvrit. Madame Laurent  encadra sa face sévère dans le chambranle. Statufié sur place, l’Emplumé ne put faire autrement que de remarquer les larmes qui lui noyaient les yeux. Sans un regard pour l’intrus, après s’être brièvement essuyée le visage d’un revers de manche, elle ouvrit la caisse historiée et d’un geste doux, comme à regret, arrêta la course du balancier qui eut un hoquet douloureux.
Le coq sentit sur sa nuque offerte glisser le froid de l’acier. Ne savait-il pas de longue date que dans ce pays, la coutume voulait qu’un repas, à l’intention des parents qui venaient parfois de fort loin, soit servi après des obsèques et qu’à cette occasion on y sacrifie le plus beau volatile de la ferme ?

 

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