mercredi 21 décembre 2011

Un conte de Noël


Grandes vacances
La première poudrerie de l’hiver était arrivée, papillonnante et légère, par une nuit glacée de décembre. Elle s’était posée sur la forêt en toute discrétion, sans réveiller personne.
Au matin, lorsque mes frères avaient aperçu les mille paillettes que le soleil levant allumait sur la neige, ils avaient hurlé de joie et entamé une danse effrénée. Pour un peu, on eût dit des fêtards attardés, rentrant passablement éméchés,  d’une succession de bacchanales nocturnes…
Pour ma part, je ne prisais guère ces débordements intempestifs. Mon plaisir se voulait plus mesuré à la manière des loups qui accueillent la première chute par un simple frisson sur l’échine. Et puis,  ce que j’avais à révéler n’aurait su se satisfaire d’un concert de hurlements…
Lorsque les agités se furent un peu calmés, je ne pus résister à l’envie de leur faire partager mes certitudes :
-        Moi cette année, je vais partir en vacances de Noël !...
Cette affirmation un rien effrontée déclencha de nouveau un beau charivari, assorti des quolibets coutumiers :
-        Tiens ! L’avorton qui sort de sa somnolence ! Voyez-un peu le toupet ! Des vacances pour Monsieur ! Pour lui tout seul ! Pauvre pomme ! Ne serais-tu pas victime de soudaines hallucinations ?
-        Riez, moquez-vous, vous verrez bien !...
Il me faut préciser que bien qu’étant le plus âgé, à côté des autres qui devenaient de beaux et forts gaillards, j’avais l’air d’un nain. Mon droit d’aînesse se trouvait donc contesté par mes frères qui négligeaient mes remarques et se moquaient de moi en me désignant sous le sobriquet de « gnome de la forêt ».
Mais mon cadeau était en route. Pour moi c’était une certitude, bien que je n’eusse pas su dire pourquoi.
Il arriva la semaine suivante alors que la tribu des grands en était encore à se réjouir de la première neige qui les avait transformés en géants de féérie, assorti d’un épilogue tragique que je n’avais pas envisagé. Une hache soudaine les rendit à ce qu’ils étaient : de vulgaires sapins que l’on coupe…
Dans le même temps, les hommes me comblaient d’attentions. Extrait de l’humus nourricier par des mains délicates, transporté avec soin sur une motoneige vrombissante sur laquelle je connus la griserie de la vitesse,  je me retrouvai dans un vaste salon où flambait un beau feu clair,  paré du double sésame de Noël : des guirlandes en farandole et des bougies parfumées aux vives couleurs. Plus tard, à mon pied revêtu de rouge moucheté de neige, vinrent s’entasser des paquets mystérieux aux rubans frisés en bouclettes.
Les jours qui suivirent furent bien plus que des vacances, bien plus qu’un rêve enfin assouvi. Pour être franc, s’ils furent dignes de figurer sur les pages enluminées d’un livre de contes, je me garderai d’oublier qu’au fond du grand verre des réjouissances demeurait la lie de l’amertume et du remords.
Les lampions éteints, moi le moins que rien,  le nabot élevé à la dignité de roi de la fête, je fus replanté dans le coin le plus ensoleillé du grand parc, où je prospérai.
 J’ai atteint à présent un âge respectable  et les promeneurs qui s’arrêtent devant ma silhouette élancée, s’étonnent parfois des larmes de résine qui glissent lentement sur ma peau crevassée. Ils ne peuvent pas savoir que mes vacances ont un parfum d’éternité, parce qu’ils ne connaissent pas l’histoire du petit sapin enfin devenu grand, continuant jusqu’au bout du chemin, en dépit de son sort enviable, à s’apitoyer sur la fin tragique de ses frères à jamais privés des étoiles de Noël…


  










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