mardi 22 novembre 2011

Escapade corse

Il y avait longtemps que je souhaitais écrire "quelque chose" à propos de la Corse... Désir qui est longtemps resté lettre morte. Et puis cet été, j'ai assisté à un concert donné par le groupe Ava et le déclic a eu lieu... J'ai commis simultanément une poésie et un récit que voici :


Ile de Lumière

Que de trésors ignorés dois- tu receler
Terre coutumière, montagne dans la mer !
L’écho assourdi de ton chant mâle et fier
Prend le visiteur pour mieux l’ensorceler.

Pétrie de rocs rouges, soulignée de marine,
Venue du fond des âges, elle se grise de vent,
De parfums de maquis et de soleil ardent.
Toi qui accostes, ouvre grand ta narine...

L’olivier chenu témoin de tant de luttes,
S’habille d’argent que la brise bouscule.
L’appel du berger sonne au crépuscule.
Doux sera le foin tiédi au sol des huttes.

D’humbles pierres gravées par d’anonymes mains
Portent en elles les joies et les peines des temps.
Elles aussi se souviennent des beaux jours du printemps
Et des hommes meurtris par des sorts inhumains.

Le ru sourd du rocher et court vers le ravin,
Sautillant et pressé de tracer son sillon.
La dentelle des monts, au doux chant du grillon,
Mélange son carmin aux nuées lie de vin


Vers la Vierge dressée des mains des muletiers,
De vieilles femmes noires, tremblotantes,
D’éternelles prières à leurs lèvres marmottantes,
Processionnent sans fin sur les chemins côtiers.


Leurs hommes se taisent, sur de vieux bancs assis.
Ils ont des songes flous et des larmes perlées.
Près d'eux, des fillettes dans leur ronde mêlées,
Evoquent des jardins et des lauriers fleuris.

La grève s'alanguit, les vagues s'assoupissent,
Les pins murmurent à la brise océane,
Le soir se fait discret, bientôt le jour se fane,
Les braises du couchant sur l'océan pâlissent.


Ile rude, altière, gardienne de la mer,
Terre buissonnière, courtisée, méprisée,
Pourtant jamais vaincue, asservie ou brisée,
J'entends tes voix monter entre doux et amer.


Des crêtes de Ghisoni aux rochers de Zonza,
Du golfe de Calvi aux Ies Sanguinaires,
Elles ont la même foi depuis des millénaires
Pour chanter haut et fort leur Terra Insula.


Cantu corsu
Hier encore, nous étions privés de lumière. Comme nous étions privés de voix et de musique, tant il est vrai que la ville et le béton se révèlent bien incapables d’en répercuter les sonorités à l’infini.
Ce soir, nous renaissons tout à coup à la vie. A la vie rude et vraie de notre terre natale, cette vie aux codes ancestraux qui parlent de respect et d’amour des hommes. La seule vie qui vaille pour nous et dont l’intransigeante défense nous a conduits si loin.
Longtemps - trop longtemps !- nous avons été trahis par ceux qui se disaient des nôtres et dont le but ultime n’était que de mettre notre île à l’encan.
C’est pourquoi, farouches opposants à leurs dérives mercantiles, nous sommes devenus des hommes de l’ombre.
Le temps a couru, entre espoir et abattement, entre ardente jubilation et tentation du renoncement, jusqu’au jour de l’expiation finale.
Des crêtes de Ghisoni aux rochers de Zonza, bien des neiges sont venues et reparties…
La clandestinité assumée puis la réclusion subie m’ont conduit à rechercher la compagnie des ténèbres. A trouver en elles une plénitude inattendue. Je suis un homme de la nuit. Tu l’es devenu aussi, toi mon compagnon de lutte, mon frère de chant. Mon double.
Le sentier de rocaille s’effrite sous nos pas lourds et lents en escaladant patiemment le flanc de la montagne dont la cime flamboie dans le crépuscule ardent. Au loin, la grève s’alanguit et les vagues s’assoupissent dans le jour qui se fane. La brise de mer exacerbe les parfums s’échappant du maquis alentour et nous les accueillons pieusement comme on retrouve, ému, la saveur particulière d’une friandise dont on a été trop longtemps privé.
Dressé sur un rocher portant au flanc des traces laissées par des mains anonymes, j’entonne l’air principal d’une paghjella, escorté par la basse fidèle de mon compagnon. D’abord en sourdine, puis en crescendo pour aboutir au plain-chant. Nos cœurs, longtemps bridés, se gonflent de cette joie simple et violente, surgie des tréfonds de notre inconscient pour déborder sur nos lèvres. Nous allons faire vaciller les étoiles, crépiter la dentelure des monts que l’ombre peu à peu efface, abandonner des bouffées d’échos aux courants du ciel afin qu’ils les emportent où bon leur semblera…
Longtemps nous offrons à la nuit complice nos mélodies venues du fond des âges, en des temps oubliés où les joies et les peines des hommes de cette terre s’exprimaient de la sorte.
Jusqu’à ce qu’une voix anonyme s’en vienne se mêler à notre concert improvisé, lui restituant de fait la partie manquante de son harmonie originelle.
Une voix haute et claire qui nous rejoint, à travers crêtes et vallons, amenant des ornementations plus aigües qui embellissent le chant et subliment l'accord. L’homme qui complète ainsi notre trio est également un homme de la nuit. Très certainement un berger de la montagne, occupé à veiller son troupeau essaimé par groupes indistincts sous les pins laricio. Ses aigus triomphants portent haut la fierté de sa terre natale, pétrie de roche rouge, soulignée de marine, ivre de vent et d’espaces infinis.
A la dernière note évanouie, retombera le silence. Le silence minéral qui est encore de la musique. Puis le soleil émergera, rouge dans l’océan des brumes.
Le jour naissant sera beau. Beau et libre…

1 commentaire:

  1. Je me doutais qu'une telle plume possédait un blog.
    De Kaléïdoplumes ici il n'y a qu'un pas.

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