mercredi 23 novembre 2011

Trésor d'automne

Une fructueuse récolte de cèpes de début d'automne m'avait un jour inspiré ce récit. Et voilà qu'aujourd'hui, mercredi 23 novembre, une banale promenade vespérale vient de se terminer par la cueillette "immortalisée" ci-dessous. Vu la l'avancée de la saison, c'est -pour moi en tout cas - sans précédent dans les annales... Etonnant non ? Et de ressusciter pour vous cet écrit au parfum de sous-bois...



Trésor d'automne



CÈPE: Voilà bien un mot, modeste parmi tant d'autres, sobre vocable de quatre lettres, cryptogame discret de son état,  qui peut se vanter d'enflammer l'inconscient collectif et de continuer à susciter, d'une époque à l'autre, des passions inaltérables…
Il suffit qu'un mois d'août sur ses fins troque sa canicule pour de soudaines pluies orageuses pour que se réveille l'instinct primitif du chasseur qui doit sommeiller en chacun d'entre-nous et que circule tous azimuts sur les ailes des vents l'antienne bien connue: "Les cèpes vont sortir…"
Lesquels, sans doute quelque peu effrayés de se voir désirer à ce point, en profitent pour bouder obstinément. Les vieux coureurs de bois, forcément les plus doctes en la matière, en profitent pour ricaner sous cape en parlant de lunes, de périodes et de je ne sais quelles conditions, plus ou moins occultes, qui ne seraient pas réunies…
Tant est si bien que les cueilleurs putatifs, après quelques recherches infructueuses, retournent dépités à leurs occupations premières en maudissant les impudents.
Tout tapage pour l'heure éteint, c'est précisément le moment que ces derniers choisissent pour mettre subrepticement le chapeau à la fenêtre.
Oh! En toute discrétion tout d'abord! En bronze noir au revers d'une touffe de fougères qui les abrite des excès du soleil et des regards indiscrets, en miel doré au pied d'un châtaignier tutélaire, en parfait mimétisme dans la mousse humide tapissant les berges de la rivière…
Ceux-là sont réservés aux marcheurs obstinés, aux patients qu'un contretemps ne saurait rebuter,  aux observateurs méticuleux de la nature et de ses pratiques secrètes…
Si rien de fâcheux ne vient perturber leur éclosion, ils pourront alors croître et se multiplier, provoquant dans nos bois, soudain stupéfaits, de folles ruées de hordes sauvages, laissant augurer de ce que fut, sous d'autres cieux et en d'autres temps, la ruée vers l'or.
Passons rapidement sur ces invasions barbares, ces ratissages organisés, ces pratiques mercantiles…
Je respecte trop le cèpe, ce cadeau de la nature à nul autre pareil, pour le traiter comme un vulgaire manant que l'on détrousse impunément au coin du premier bois venu. Je l'accueille comme il se doit, en seigneur d'automne qu'il est. Je m'en vais poliment le débusquer de sa tanière de feuilles rousses ou dans son gîte tapissé de bruyère en fleur ou de mousse au parfum d'été finissant… Sur sa couche de fougères, au fond du grand panier d'osier, je l'inviterai dans ma demeure qu'il parfumera de suaves odeurs qui raviront mes narines aux aguets bien avant l'heure du repas, en faisant au passage pester les voisins qui, eux, n'ont pas eu le temps… ou n'ont rien trouvé… Troussés au cœur d'une omelette, escortés de pommes de terre sautées ou accompagnant le poulet du dimanche, cent façons de les accommoder!
Et quand ces voyageurs de fin saison, parfois si capricieux, si imprévisibles, auront disparu de nos bois, chassés par les premiers frimas, il restera dans nos mémoires la quiétude des sentiers au fond des bois, le quiproquo d'une feuille sèche experte en imitations, le pincement au cœur toujours présent lorsque survient la découverte, l'espoir d'une prochaine poussée lorsque s'affaisse la précédente…
 L'automne déjà sur le déclin se prolongera en nos cœurs avec quelque part, là-haut, comme plaqué sur le ventre des nuages jouant à saute-colline, une envolée de feuilles mortes et un doux parfum qui flotte, tendre comme un souvenir d'enfance…


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