mardi 29 novembre 2011

Voyageur sans bagage...


Voyageur sans bagages…



Question en forme de devinette : Quel est l’indispensable trait d’union entre un petit campagnard rêveur et des voyages enchanteurs ? Vous ne voyez pas ? Faites un petit effort ! Serait-ce la perspective de vacances familiales qui se superposeraient à d’alléchantes brochures publicitaires ? Une carrière entraperçue de marin au long cours ? Peut-être une envolée d’images nées de la découverte des chefs-d’œuvre de Jules Verne ou de Stevenson ? Non ? Vous donnez votre langue au chat ?  En fait c’est bien plus simple ! Il s’agit tout simplement d’un manuel de géographie ! Vous ouvrez des pupilles en forme de point d’interrogation ? Vous avez tort ! Démonstration !

La couverture abondamment illustrée de photos en couleurs est à elle seule une invitation au voyage. Ouvrez, laissez négligemment se feuilleter quelques pages puis pointez un index au hasard ! Pas de chance vous êtes tombés sur une carte hydrographique de la France qui fait ressurgir tout à coup de fâcheux souvenirs... Passez outre et rêvez un instant... Imaginez la pyramide tronconique du Gerbier de Joncs qui vous fit tant souffrir et qui en cet instant magique vous enchante ; un envol de flamants par un crépuscule cuivré de Camargue ; une péniche vermillonnée remontant lentement un canal du Nord, avenue géométrique escortée de terrils, eau paisible perdue en plat pays ; un gave cascadant descendu des sommets pyrénéens ;  le canal du Midi sous son dais de platanes ; un lac niché dans la montagne dont la couleur profonde de lapis-lazuli épouse le rouge éclatant des rhododendrons qui tapissent ses rives...
Vous en voulez encore ? Voici la Garonne, espagnole avant que d’être occitane ; le Rhin, ample et majestueux, couronné de vignobles dorés ; la Seine, flânant sous les ponts de Paris et pour parfaire l’initiation, voici ressuscité le clair ruisseau de votre enfance dont les eaux glacées vous arrachaient de petits cris d’effroi et qui, vous le savez bien, continue de dérouler son trait d’argent au fond de vos souvenirs... Pour le coup, le voyage a pris une autre tournure !

Une autre tentative ? Là vous avez franchement de la chance ! Vous allez pouvoir sans bouger de votre fauteuil ajouter votre nom à ceux des glorieux vainqueurs de l’Everest. Admirez-le, géant parmi les géants, trônant en majesté en pleine page, haussant son front de glace au-dessus de l’opale des nuages... Ce n’est pas rien l’Everest tout de même ! C’est toute l’épopée himalayenne qui se met à défiler... Sans efforts démesurés, tous les sommets, saisis par une grâce magique, pourraient se mettre à danser la farandole : Le Mont Blanc traverser incognito l’Atlantique pour valser avec l’Aconcagua ; le Mac Kinley faire la causette au Kilimandjaro qui n’en reviendrait pas, tandis que leurs sujets de moindre altitude feraient la ronde autour d’eux...
Laissez-vous emporter sur les cimes éthérées d’où s’échappent de  grondantes avalanches dans un halo de paillettes irisées... Ecoutez les clarines des troupeaux, la rumeur sourde du torrent au fond des gorges, la fuite soudaine d’un chamois dans les pierriers... Sentez sous vos doigts la patine des bois du vieux chalet, la chaleur douce du rocher sous la caresse du soleil... Laissez les parfums envahir vos narines :  fougère âcre, mousse fraîche, bois calciné, terre mouillée...
Sans briser le charme qui agit, entrouvrez un instant vos paupières abaissées pour une ultime tentative, une page dernière... Vous voici embrasé par la coulée incandescente de l’acier en fusion au coeur de l’usine où s’agitent des ombres fantomatiques... S’imposent à vous comme par une évidence parfaite, les vers célèbres de Verhaeren sur lesquels vous peinâtes au temps lointain de la communale : « Et vous enfin, batteurs de fer, forgeurs d'airain, visages d'encre et d'or trouant l'ombre et la brume, dos musculeux tendus ou ramassés, soudain, autour de grands brasiers et d'énormes enclumes, lamineurs noirs bâtis pour un oeuvre éternel... »
Une larme douce glisse sans prévenir sur votre joue... Ca alors ! Vous ne l’auriez jamais cru ! En fait  Marcel Proust n’a rien inventé ! Vous venez à l’instant d’en avoir la preuve... Votre temps perdu, vous venez de le retrouver !
Permettez-moi simplement d’y ajouter le parfum sucré des alizés, le sable brûlant des déserts, l’immensité glacée des pôles, la verte luxuriance de la forêt primaire... sans omettre un ultime soupçon d’épices avec l’écume salée des vagues, l’or des blés dans la plaine, le grand corps souple du fleuve, la rumeur de la ville assoupie sous la lune...
Vous pouvez maintenant sans peine partager les voyages immobiles que je fis au temps béni de mon enfance sur les rives infinies de mon livre de géographie...


1 commentaire:

  1. Un bien beau voyage ! j'ai d'abord pensé à une brochure d'agence .... Tu m'as arraché un large sourire, je soupçonnais déjà que Proust n'avait rien inventé j'en ai maintenant la confirmation ;))

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