lundi 5 décembre 2011

Au cœur du bois, il y a le rêve...

Un récit au parfum d'enfance...



Un tas de bûches soigneusement empilées que les lichens ont colonisé et que la mousse a peu à peu recouvert...  Un tas de bois inutile et pourrissant que personne n’est jamais venu chercher. Voilà tout ce qu’il reste de mes dérisoires rêves d’enfant, de mon île au trésor, de mes voyages au long cours…
Lui, c’était un hêtre. Un  hêtre à l’écorce argentée, lisse et régulière, au fût élancé qui se terminait par un houppier au feuillage opulent largement étalé,  au sein duquel dansaient les abeilles. Depuis des années, j’allais dire des siècles, il ancrait sa force au sol, crispant ses racines dans le terreau nourricier.
Moi, j’étais un garçonnet de la campagne, adepte des après-midi solitaires dans la proche forêt. Dès ma première escapade, -  je devais avoir huit ou neuf ans à l’époque - je n’avais vu que lui. Très vite, il était devenu mon ami. Appuyé contre son tronc que j’étreignais à pleins bras, je l’avais entendu me murmurer que si je parvenais à dérober à l’atelier paternel quelques-uns de ces longs clous que l’on dit chevronniers, il me permettrait de les planter dans sa chair afin que je puisse atteindre  aisément les branches charpentières et grimper jusqu’à lui.
Ainsi avait été fait.
Il me racontait toutes les histoires d’ici et d’ailleurs, histoires arrivées sur les ailes des vents ou babillées par les oiseaux qui venaient le visiter.
D’une phrase que je trouvais belle, je me faisais toute une histoire. La voix de mon ami, déjà ténue, s’esquivait tandis que j’appareillais vers le grand large. Très tôt, bien que n’ayant pas eu la chance de la regarder dans les yeux – les gravures de mon livre de géographie étant là pour y remédier – j’ai eu la passion de la mer, des vagues monstrueuses crêtées d’écume et des marins aux yeux couleur du large, s’embarquant pour les dompter.
Seul sur mon arbre devenu goélette ou cargo dont j’étais tout à la fois le capitaine et l’équipage, je cinglais à ma guise vers des rivages lointains.
Seul un coup de sifflet aigu – qui n’était pas celui du bosco dans le poste mais bien celui de mon père, m’invitant à regagner au plus vite la table familiale -  parvenait à m’arracher à mes épopées immobiles…
Un jour que, sur le chemin de mon arbre, je retournais dans tête d’écolier féru de  mots la maxime de la morale matinale «  Qui va à la chasse perd sa place », j’en fis sur le terrain la douloureuse expérience.
Le bois, pourtant nimbé d’une paisible lumière d’arrière-saison, résonnait de coups sourds, parfaitement identiques à ceux que frappe le brigadier à l’amorce d’une tragédie.
Caché derrière un genêt, je découvris en contrebas l’ampleur du désastre. Pendant que je me régalais de la potée maternelle, une armée de pirates avait investi mon navire aérien. Deux d’entre d’eux, utilisant sans vergogne mes marches métalliques, avaient fixé à la cime une longue haussière qui pendait en double brin telle la corde du glas.
Pendant ce temps, leurs acolytes, munis d’énormes haches, faisaient voltiger de larges éclapes d’un beige rosé, mutilant le tronc qui criait sa souffrance.
Je mesurai sur le champ ma petitesse, mon absolue insignifiance par rapport à ces guerriers en armes. Je compris dans le même temps que le port sacré de mon enfance venait de rejoindre des latitudes inaccessibles et que jamais, plus jamais, je ne naviguerais.
Je ressentis alors comme un déchirement et m’enfuis éperdument dans le chemin que voilait une brume inattendue …



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