mardi 6 décembre 2011

Fin de vie

Et tout finit par du soleil...



Les images mentales se télescopent puis finissent par se brouiller irrémédiablement jusqu’à ce que la bande casse net, rendant l'écran aux ténèbres premières. S'ensuit un bref instant d'un silence irréel violemment interrompu par un éclat de lumière crue venue d'on ne sait où qui fait battre les paupières du vieil homme allongé sur son lit d'hôpital. Le ronron obsédant d'une invisible machine, coupé à intervalles réguliers par une note plus aiguë, résonne douloureusement dans sa tête qui se met à ballotter de droite et de gauche comme si elle voulait se soustraire à l'étau implacable qui se resserre...
Henri finit par soulever péniblement les paupières. Sa gorge sèche le brûle douloureusement. Une forme spectrale se penche vers lui tandis qu'une voix gronde:

— Alors M. Raynal ! Vous voici réveillé. C'est bien ! Justement, vos fils viennent vous voir…

La silhouette blanche s'efface, remplacée par deux autres dont il ne parvient pas à distinguer les traits. Les pieds métalliques d'une chaise grincent sur le carrelage. Il sent qu'on lui prend la main. Il voudrait bien serrer mais il n'en a plus la force. Il voudrait bien parler mais aucun son ne sort de sa bouche édentée. Une joue lisse vient s'égratigner à sa barbe dure :

— Papa, c'est Pierre. Jean-Marc est là avec moi. Nous sommes venus passer un moment avec toi.

Henri a refermé les yeux sur le monde d'en haut qui semble déjà ne plus le concerner.  Il entend pourtant avec une netteté bouleversante la voix invisible prononcer des mots qui le glacent :

— Tu crois qu'il nous connaît ? Pauvre papa, j'ai bien peur…

Un soupir interminable soulève un instant sa poitrine amaigrie, un soupir semblable à ceux qu'il poussait autrefois, lorsque sa rude journée de travail terminée, il consentait à s'asseoir un instant sous le doux frou-frou des étoiles de l'été…
Toutes les images qui étaient en lui précédemment se remettent à battre la breloque dans sa tête, kaléidoscope de séquences bousculées, enchevêtrées, emboîtées…Visages enfuis aussitôt qu'entrevus… Film d'une vie, d'une humble vie de labeur, de peines, entrecoupée d'éclats de rires et de bonheurs doux… Sa vie…

L'été, sa saison de prédilection!  La voici exacte au dernier rendez-vous. Elle éclate à présent sous son crâne, en gerbes de feu, en parfums exacerbés, en arabesques de couleurs… Repoussant un instant le froid qui s'insinue peu à peu dans ses membres raidis, elle instille en lui sa douce brûlure, sa chaleur amicale.
Un dernier hoquet puis tout se tait. Avant qu'il ne glisse à l'abîme, pour solde de tout compte, la saison de tous les bonheurs lui offre, reconnaissante,  l'obole du passage : une foucade de vent chaud surgie de nulle part qui rebrousse la chevelure des andains et emporte avec lui le parfum poivré des herbes grillées, un chapeau cabossé qui se faufile prestement sous les vergnes dans l'éclat miroitant des eaux vives et tout là haut, posé au bord du bleu cru du ciel, un milan noir qui, inlassablement, tourne et retourne… 




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